Grippe espagnole

En cette année 2020, le monde fait face à une pandémie dûe au coronavirus covid-19. Une épidémie d'une telle ampleur n'est pas un fait nouveau, il y a maintenant plus d'un siècle, en pleine guerre 14-18, une pandémie de grippe particulièrement virulente sévissait au niveau mondial.
Cet article a été l'objet d'une exposition en 2018 réalisée par la Licorne. Il est intéressant de le rééditer pour le coté historique, mais il serait hasardeux d'essayer de faire un parallèle entre les deux événements.
 

 

Grippe espagnole

Au printemps 1918, alors que la guerre perdure et que l’on ne cesse de compter les morts et les disparus un nouveau fléau tout aussi destructeur en vie humaines apparait.

Le 6 avril 1917, les Etats-Unis entrent officiellement en guerre auprès de la Triple Entente (France, Angleterre et Russie). Le pays ne possède que 200 000 hommes, par conscription, il va en mobiliser 4 millions. Pour cela, des camps de transit sont rapidement créés avec de mauvaises conditions d’hygiène. En mars 1918, les premiers cas de grippe apparaissent. Au camp de Fuston dans le Kansas on compte 1100 cas avec 237 cas de complications pulmonaires.

Grippe espagnole kansas

                                                          Soldats américains atteints de la grippe au camp de Fuston dans le Kansas

Les ports sont aussi impactés et en avril 1918, la grippe débarque en France avec les troupes. En juin- juillet 200.000 soldats britanniques sont contaminés, ainsi que la population civile. L’épidémie qui demeure bénigne se caractérise par sa rapidité de propagation et un fort impact sur des classes d’âge jeunes . Au cours de l’été 1918, elle semble disparaitre, mais elle est toujours là et gagne en sévérité. On compte de nombreux morts par pneumonie hémorragique.
La presse sous la censure parle peu de cette grippe qui frappe l’armée, mais est plus loquace concernant ses voisins. L’Espagne, en dehors du conflit, est plus alarmiste, à telle point que bien qu’universelle, cette pandémie va prendre le qualificatif injustifié de “grippe espagnole“.

 En septembre 1918, loin de s’éteindre, le mal gagne en virulence. Au Massachussetts, le 1er septembre, 4 soldats sont hospitalisés, ils sont 1543 une semaine plus tard et bientôt 6000 sur des civières dans les couloirs. Avec de terribles complications pulmonaires , pleurésie, pneumonie et une mort par asphyxie. La population civile est aussi atteinte.

En Europe, le situation est tout aussi dramatique. Avec la promiscuité des tranchées, les déplacements de troupes, l’épidémie fait des ravages, à l’automne 402 000 cas de grippe sont recensés avec 30382 décès . En octobre, 10% des malades décèdent  à Paris et les personnes fragiles ne sont pas les seules à succomber, des gens en bonne santé sont emportés en quelques jours.
Nous avons les chiffres suivants par tranche d’âge pour la ville de Bordeaux  qui confirment que les personnes âgées ne sont pas les plus impactées :
-   Moins de 1 an :         1%
-   de 1 à 19 ans          14%
-   de 20 à 39 ans        56%
-   plus de 60 ans       8,5%
Il a été émis l’hypothèse que les gens âgés avaient été partiellement immunisés par la pandémie de 1889-1890, ce qui n’était pas le cas pour les plus jeunes.

Cependant les conséquences de cette épidémie sont difficiles à apprécier avec certitude. Les données épidémiologiques, faute de fonctionnaires, sont mal renseignées et n’incluent pas les militaires qui dépendaient du service de santé des armées. Lorsque la maladie atteignait des gens avec des problèmes pulmonaires, des cardiopathies, du diabète ou d’autres affections, la mort  pouvait être attribuée à ces affections. Pour appréhender l’hécatombe, la surmortalité par rapport à l’année précédente est un bon indice. Par exemple à Lyon en octobre 1917 on avait eu 852 décès dans la vie civile, et en octobre 1918, on en a eu 2545. En novembre, la décrue s’amorce, on a une reprise en février et mars 1919, puis en juin 1919 l’épidémie se termine.
Au niveau de la France, les services de santé militaires ont relevé 402 000 cas de grippe et 30 382 décès, ajoutés aux 250 000 victimes civiles (chiffre approximatif), on obtient environ 280 000 morts. On est loin des 1 300 000 victimes occasionnées par la guerre. L’idée souvent répandue que la grippe espagnole a été plus meurtrière que la guerre s’avère fausse. Tout au moins en France, car au niveau mondial, les chiffres, même peu fiables, oscillent entre 25 et 40 millions de morts.

Malgré le nombre de décès, les autorités ne prennent pas de mesures radicales, tant la grippe reste un mal anecdotique face au péril occasionné par la guerre. Peu de mesures prophylactiques rigoureuses ont été prises pour ne pas générer de la panique dans la population mais aussi pour éviter d’apporter quelque renseignement sur l’état des troupes à l’ennemi. Les transports en commun, grand vecteur de contagion, ne sont pas interrompus, pas question de fermer les usines. Sporadiquement les autorités ferment les écoles, les spectacles et donnent des conseils de prophylaxie : se laver les mains, éviter les lieux publics et les médecins en attente d’un traitement spécifique recommandent la quinine ou l’aspirine pour la fièvre, le sulfate de strychnine, la caféine, l’adrénaline pour stimuler le cœur. Huile de ricin, huile de camphre, quinquina, formol, diurétiques, rhum,… sont aussi très demandés en pharmacie. Les charlatans ne sont pas en reste pour proposer leurs remèdes miracle.
En début d’article, il apparait que la maladie débarque en France avec les troupes américaines, car elle apparait en premier dans les ports de débarquement: Bordeaux, Brest, Nantes, Saint Nazaire. Les troupes arrivent le 26 et 27 juin, en juillet les premiers cas de grippe apparaissent. Est-ce la seule porte d’entrée de l’épidémie ? Pas sûr, car en avril 1918, on avait déjà une épidémie dans les tranchées sur le front et dans la population civile des grandes villes. Cette première vague, peu virulente, aurait pu être importée par les troupes coloniales venues d’Indochine.
Car l’Asie n’a pas été épargnée, c’est elle qui connait la plus grande hécatombe. Bien que les données aient une grande imprécision, les chiffres n’en restent pas moins abominablement élevés : entre 4 et 9.5 millions de morts en Chine, 12,5 à 20 millions en Inde. Aucune région du monde n’est épargnée , en Afrique, en Amérique du sud. La contagion arrive par la mer, puis remonte les fleuves ou prend le train. L’Alaska n’est pas épargnée avec des taux de mortalité atteignant 85% sur les populations autochtones. Tahiti protégée par son isolement va être infectée en 24h suite à l’arrivée du paquebot Navua venant de San Francisco. On déplorera 1000 morts sur 5000 habitants. En France, dans plusieurs villes, une catégorie de population échappa à la contamination, ce sont les religieuses “cloitrées“ dans leur couvent, ce qui confirme l’efficacité du confinement.

La réaction de l’opinion publique a été relativement discrète. La grippe est une maladie bénigne qui effraie moins que le choléra , qui pourtant le siècle précédent avait été beaucoup moins mortifère. La population, par la censure des journaux, a été peu informée sur la gravité de la situation contrairement aux britanniques complètement paniqués par la presse qui comparait l’épidémie aux 12 plaies d’Egypte. Les familles s’inquiétaient plutôt sur le devenir de leurs soldats au front. Puis avec le repli des Allemands et la fin de la guerre qui approchait, les bonnes nouvelles occultaient les mauvaises.
La virulence de cette pandémie a frappé les contemporains qui l’avaient expliquée par la dénutrition due à la guerre, ce qui était vrai en France , mais pas ailleurs dans le monde en paix où la mortalité était encore plus forte. Lorsque le virus grippal a été isolé en 1933, l’attention a été portée sur la possibilité d’une éventuelle virulence comme en 1918. En 1948, des études sérologiques sur les anticorps de survivants à la pandémie ont montré que le responsable était un virus porcin de souche H1N1. Plus récemment de nouvelles études aboutiraient à la présence d’un virus aviaire. Voilà un débat entre scientifiques auquel je ne prendrai pas part, mais on entrevoie un peu pourquoi le terme “H1N1“ met tant les autorités sanitaires d’aujourd’hui sur le qui-vive.